Arrêt de la Cour Constitutionnelle du 16 avril 2020: maître Marcellin Gupa calme le jeu

Arrêt de la Cour Constitutionnelle du 16 avril 2020: maître Marcellin Gupa calme le jeu

21 avril 2020 0 Par Grandjournalcd.net

Dans son arrêt R.Const. 1.200 du 16 avril 2020, la Cour Constitutionnelle de la République Démocratique du Congo a jugé conforme à la Constitution l’ordonnance du Président de la République n°20/014 du 24 mars 2020 portant proclamation de l’état d’urgence sanitaire pour faire face à l’épidémie du Covid-19. Cet arrêt a suscité un grand débat au sein de la classe politique et des juristes congolais.

Pour certains, le Président de la République aurait dû demander l’autorisation de la proclamation d’état d’urgence au Congrès conformément à l’article 119 al.2 de la Constitution tandis que pour d’autres, le Président de la République aurait choisi l’alternative de l’article 85 de la Constitution qui prévoit une procédure différente qui ne nécessite aucune autorisation du Congrès. D’où l’origine de débat.

En effet, l’article 85 de la Constitution dispose que « Lorsque des circonstances graves menacent, d’une manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ou qu’elles provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions, le Président de la République proclame l’état d’urgence ou l’état de siège, après concertation avec le Premier ministre et les Présidents des deux Chambres, conformément aux articles 144 et 145 de la présente Constitution.
Il en informe la nation par un message.

Les modalités d’application de l’état d’urgence et de l’état de siège sont déterminées par la loi ». Quant à l’article 119 al. 2, la disposition prévoit que les deux Chambres se réunissent en congrès pour le cas suivants « l’autorisation de la proclamation de l’état d’urgence ou de l’état de siège et de la déclaration de guerre, conformément aux articles 85 et 86 de la présente Constitution ». Pour certains juristes, il y aurait une contradiction entre l’article 85 et le deuxième alinéa de l’article 119 de la Constitution.

D’après la Cour Constitutionnelle, le Constituant n’a pas déterminé la forme des circonstances pour lesquelles le Président de la République doit opter pour une procédure au lieu de l’autre. Ces circonstances relèvent de l’appréciation souveraine du Président de la République.

À notre avis, un tel choix pourrait s’expliquer probablement par la volonté du Constituant de permettre au Président de la République dans certaines circonstances de prendre très rapidement des mesures nécessaires sans nécessairement recourir à la longue bureaucratie du Congrès. Un tel scenario s’explique si l’urgence se manifeste pendant la période des vacances des Parlementaires. Le Président de la République se serait trouvé en difficulté pour proclamer l’état l’urgence et pour prendre certaines mesures utiles pour faire face à l’urgence. Il aurait fallu attendre que le Congrès puisse se réunir précipitamment pour ensuite autoriser le Président de la République de proclamer l’état d’urgence. D’où l’utilité de l’article 85 de la Constitution lequel prévoit une procédure simple et rapide de concertation entre le Président de la République, le Premier Ministre et les Présidents de deux Chambres.

Que se passe-t-il après la proclamation de l’état d’urgence par le Président de la République dans ce cas ?
La réponse se trouve dans l’article 144 de la Constitution. En effet, dans son alinéa 2 il est dit ceci: « L’Assemblée nationale et le Sénat se réunissent alors de plein droit. S’ils ne sont pas en session, une session extraordinaire est convoquée à cet effet conformément à l’article 116 de la présente Constitution ». Il sied de noter que l’article 116 précité fait allusion à la convocation d’une session extraordinaire, cela veut dire par exemple, si le Parlement est en vacances, il peut être convoqué sur base de cet article.
L’alinéa 3 (article 144) par contre prévoit que « La clôture des sessions ordinaires ou extraordinaires est de droit retardée pour permettre, le cas échéant, l’application des dispositions de l’alinéa précédent » c’est-à-dire des articles 85, 144 (alinéa 2) et 116 de ladite Constitution.

L’alinéa 4 prévoit que l’état d’urgence peut être proclamé sur tout ou partie du territoire de la République pour une durée de trente jours et l’alinéa 5 stipule clairement que « L’ordonnance proclamant l’état d’urgence ou l’état de siège cesse de plein droit de produire ses effets après l’expiration du délai prévu à l’alinéa trois du présent article, à moins que l’Assemblée nationale et le Sénat, saisis par le Président de la République sur décision du Conseil des ministres, n’en aient autorisé la prorogation pour des périodes successives de quinze jours »
Il est à noter que pendant cette période, le Parlement est presque neutralisé et n’exerce que deux fonctions : proroger l’état d’urgence (al.5) ou y mettre fin (al.6). En effet, pendant cette période, le Président de la République prend, par ordonnances délibérées en Conseil des ministres, les mesures nécessaires pour faire face à la situation. Ces ordonnances sont, dès leur signature, soumises à la Cour constitutionnelle qui, toutes affaires cessantes, déclare si elles dérogent ou non à la Constitution (article 145 constitution).
Que devient le rôle du Congrès ?

« In claris non fit interpretatio » martèlent les uns. Pour eux, les dispositions de la Constitution sont très claires. La Constitution dans l’article 144 alinéas 5 et 6 parle de l’« Assemblée Nationale et du Sénat » donc, le Congrès n’a plus sa raison d’être. Les autres pensent en revanche qu’il faudrait recourir à l’interprétation téléologique et non littéraire de ces dispositions. En effet, le recours à cette méthode (interprétation littéraire) consiste à dégager l’intention du législateur par une étude minutieuse des termes employés et de leur agacement syntaxique. Cette méthode dite littérale ou grammaticale postule que le législateur connait les règles du langage qu’il emploie de manière adéquate. Bien qu’une étude du texte soit généralement considérée comme le point de départ de l’interprétation de la loi, les tribunaux et la doctrine tendent à reconnaître qu’une approche purement littérale est peu appropriée, surtout au moment d’interpréter une loi constitutionnelle ou quasi constitutionnelle. Tandis qu’en recourant à la méthode téléologique, l’interprète cherche à interpréter la loi en fonction de son but, son objet ou sa finalité.

En examinant l’article 119 de la Constitution, on se rend directement compte que la Constitution le charge de discuter sur les questions d’importances particulières sans passer par les deux Chambres séparément. Ces questions sont les suivantes :
la procédure de la révision constitutionnelle ;
l’autorisation de la proclamation de l’état d’urgence et ou de l’état de siège et de déclaration de guerre ;
l’audition du discours du Président sur l’état de la Nation ;
la désignation des trois membres de la Cour constitutionnelle.
Si la Constitution a dévolu au Congrès la compétence des questions ci-haut, on suppose que c’est en fonction de son importance et pour la célérité de la procédure.

En suivant cette logique, on peut déduire également que le rôle du Congrès après la proclamation de l’état d’urgence par le Président de la République soit juste reporté au moment de la prorogation de l’état d’urgence pour les mêmes raisons (importance et célérité) qui auraient justifiés l’application de l’article 85 de la Constitution.

Cette lecture semble partagée par le Parlement qui dans l’article 3 alinéa 5 du Règlement intérieur du Congrès stipule clairement que le « Congrès » se réunit entre autres pour « l’autorisation de prorogation de l’état d’urgence ou de l’état de siège, conformément à l’article 144 alinéa 5 de la Constitution ». Il sied de rappeler que l’article 144 (al.5) use bien des termes « Assemblée nationale et Sénat » ainsi que l’article 36 dudit Règlement qui stipule que le « Congrès saisi par le Président de la République autorise lorsqu’il s’agit de la prorogation de l’État d’urgence ou l’État de siège, à la majorité des deux tiers de ses membres ». Ce Congrès procédera ainsi au vote d’une résolution d’autorisation de prorogation qui sera transmise au Président de la République, qui permettra au Chef de l’État de signer dans la foulée, l’ordonnance portant prorogation de la durée de l’État d’urgence.
Après analyse de ces deux positions antagonistes, nous retenons que les alinéas 5 et 6 de l’article 144 de la Constitution doivent être interprétés selon la ratio de la loi.

En effet, si la Constitution a repartie la responsabilité de la gestion de l’état d’urgence entre le Président de la République, le Gouvernement, le Parlement et la Cour Constitutionnelle c’est probablement pour l’importance que revêt cette circonstance exceptionnelle qui va jusqu’à suspendre certaines libertés des citoyens (de mouvement, des réunions pacifiques, de manifestation etc.). Il serait contraire à l’esprit de la loi, prévoir d’une part le rôle du Congrès dans la phase d’autorisation puis remettre aux deux chambres séparément seulement la faculté de proroger l’état d’urgence et y mettre fin. Le Constituant aurait dû utiliser le terme Congrès dans l’article 144 en lieu et place de l’Assemblée nationale et Sénat. Toutefois, cette difficulté sémantique pourrait être surmontée que par une interprétation téléologique que nous proposons.

Moïse Dix